A Rennes, Charles Mouloud découvre le pays des théâtreuses
Le Théââtre ! Un milieu qui ne m'est pas familier. J'ai bien joué quelques pièces de patronage étant jeune, et admiré les costumes de Donald Cardwell et les décors de Roger Harth sur le petit écran familial. Mais je pensais que ce n'était pas trop pour moi, c'est élitiste, trop cher, sûrement ennuyeux et bourgeois.
Invité par le Théatre national de Bretagne (TNB) à suivre ce mois ci le festival « Mettre en scène », je n'ai pas boudé mon plaisir de me faire une idée sur la scène d'aujourd'hui, et de remiser mes clichés. Quel menu ! Pas moins de 23 spectacles, allant de la danse aux « performances », en passant par des mises en scène d'auteurs et des inventions scéniques, très variées.
Au rayon clichetons, dès le premier soir, au spectacle « Sombreros » de Découflé, j'entends derrière moi une théâtreuse aguerrie , prendre la voix d'Arielle Dombasle pour vanter une performance vue « en Avignon ».
Je pouffe, ce qui me met en condition pour profiter du show tout en ombres et lumières dans laquelle Christophe Salengro (connu comme le président de la présipauté de Groland), fidèle à Découflé, joue sa partition burlesque.
Des « Sombreros » qui allient grâce, poésie, trouvailles d'éclairage
Très beau spectacle qui sera plébiscité tout au long du festival. Alliant grâce, poésie, trouvailles d'éclairage, ce jeu sur les ombres entraîne la troupe dans un sarabande jubilatoire, pour un spectacle « grand public » au sens le plus noble du terme.
Bel hommage au cinéma muet, à Cyd Charisse et Nosfératu, avec une musique « live » allant de Brian Eno à Sébastein Libolt. (Voir le panoramique)
Bon démarrage, mais dès le lendemain, premier couac. Création de « 399 secondes » avec une mise en scène de Stanislas Nordey. Décor blanc, minimaliste, acteurs en blanc. Cette pièce, jouée sur un texte de Fabrice Melquiot autour des questionnements et des choix radicaux d'une jeunesse à la dérive, est le bide du festival.
Texte déclamé, et postures rappelant âprement le théâtre expérimental des années 70, avec ce qu'il a de plus ennuyeux. A fuir.
Voir « Hiroshima mon amour » le 11 novembre, un must
On se rattrape avec « La Paranoïa » de Rafael Spregelburg, mise en scène par Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier, une invitation à se perdre dans les méandres des processus créatifs. Le spectateur se trouve largué au milieu d'une équipe improbable chargée, rien de moins, de sauver le monde par la création. Mise en scène turbulente et inventive , avec appui de la vidéo dans un jonglage de mots très excitant.
Voir « Hiroshima, mon amour » un 11 novembre, jour de l'armistice ! « What else » ? Sur le chemin des dames endimanchées, je croise Laure Adler, qui s'esbaudit de voir tant de monde au théâââtre un tel jour, et de plus en province !
Je n'oublierai jamais cette pièce, déjà saluée sur Rue89 par Jean-Pierre Thibaudat, ni la sensualité des corps nus de Valerie Lang, troublante, forcément troublante, et de Hiroshi Ota. Christine Letailleur signe une mise en scène magnifique de simplicité sophistiquée, en servant le texte de Duras qui résonne encore longtemps par la voix de Valerie Lang.
L'ambiance après les représentations, ça reste froid et figé
Malgré les efforts engagés par le TNB pour permettre à tout public de venir voir les pièces grâce à des tarifications très honorables (des pass à 65 euros pour 23 pièces et des tarifs spéciaux, étudiants, chômeurs… : pari réussi vu les salles pleines), il manque une folie « festival ».
Si le bar et le restaurant du TNB restent un lieu de rencontres et de libations, c'est froid et figé. Un peu trop propre, et coincé ! D'accord, on n'est pas la Route du Rock, mais un peu plus de fantaisie et de lieu de lâcher prise ne nuirait pas.
Pour une ambiance plus punk, il fallait aller rencontrer le monde radical et nihiliste de Rodrigo Garcia, et son dernier opus « Muerte y reecarnation en un cow-boy ».
Garcia ne s'embarrasse pas de conventions, et ses deux comédiens se livrent à une lutte débridée entre Eros et Thanatos, riffs déchirés de guitares hurlantes, de corps nus se griffant, se battant, s'enlaçant, ou mimant l'auto fellation. Avant de nous titiller, dans un dialogue de fin… interminable, sur nos normes, nos valeurs. Violent et salutaire.
Le théatre, affaire d'intellos ? C'est une affirmation qui ferait se marrer André Robillard, qui a eu la gentillesse de répondre à mes questions dix minutes avant le début du spectacle (Voir et écouter le panoramique)
C'est qui, André Robillard ? Un drôle de zigue, qui vit dans un monde parallèle, en compagnie de ses oiseaux, de ses bricolages-sculptures de fusils, et de ses tableaux. Un peintre de la collection d'art brut de Lausanne. Un artiste iconoclaste découvert par Dubuffet et qui, à bientôt 80 ans, est étonné comme un môme de faire « l'acteur » avec les comédiens de la compagnie Les endimanchés qui l'accompagne et le bichonne, pour le magique « Tuer la Misère ».
Traumatisé par la guerre et les bombardements, il « résiste » en détournant l'horreur pour jongler avec elle, en la chantant , la plagiant, et la rendant… poétique. André Robillard, que Jean-Pierre Thibaudat avait aussi remarqué, est un cristal brut qui nous dit que l'art l'a sauvé de la misère :
« On pourrait même se demander si l'art c'est pas puissant. […] C'est le machin d'artiste de l'art qui a fait disparaître la misère. Détruire la misère c'est pas rien. C'te sacrée misère… »