«A Rennes, à Lyon, à Marseille, on voit des salles pleines»
Vous parlez de campagnes de décrédibilisation visant la démocratisation de la culture. A quelles « attaques » vous référez-vous ?
Ce qui me frappe tout d’abord, ce sont des dizaines d’ouvrages parus sur la crise de la culture, l’échec de la décentralisation théâtrale, etc. Ils sont écrits de façon à dramatiser quelque chose qui aurait échoué. Nous, de l’intérieur, on perçoit cela comme l’appréciation d’un microcosme parisien qui n’a rien à se mettre sous la dent.
Le rapport Latarjet sur l’avenir du spectacle vivant en France va dans le même sens. Depuis sa parution en 2004, les gens qui travaillent sur les questions culturelles dans les partis, que ce soit au PS, à l’UMP, et même au Modem, pensent qu’il faudrait déboulonner les statuts des politiques culturelles de Malraux et Lang. C’est devenu une sorte de petit jeu à la mode qu’on répète en boucle. Mais quand on est à Rennes, à Lyon, à Marseille on voit des salles pleines et des publics de plus en plus différents. Evidemment, à Paris, avec 400 théâtres, toutes les salles ne se remplissent pas chaque soir. Ce mauvais procès ne correspond pas à ce qui se passe réellement sur le territoire.
Vous êtes également directeur de l’école supérieure du TNB. Quel état d’esprit percevez-vous chez vos élèves, en ce qui concerne leur avenir professionnel?
Concrètement quand on les accueille, on est plutôt optimistes parce qu’on sait que dans la culture il y a un gisement d’emplois : le théâtre en milieu rural, le théâtre d’intervention, le théâtre dans les prisons, les interventions culturelles auprès des jeunes. Il y a énormément de boulot. Donc finalement, on n’observe pas du tout ce sentiment dépressif chez ces jeunes, c’est même plutôt le contraire. Dans la culture dès qu’on injecte un petit peu d’argent, il y a en réaction une explosion de créations d’emplois. Le biais de l’intermittence, notamment, permet cela.
Face à la crise actuelle, dans quelle posture se trouve la culture ?
Pour le moment, la crise fait que les gens sortent. Très concrètement du point de vue de la fréquentation des salles il n’y a pas de baisse, on voit même des hausses. Mais nous ne sommes pas dupes non plus, des vagues secondaires arriveront forcément. Au final, on est beaucoup plus atteints par la stagnation des politiques culturelles qui ont fini par nous enlever des possibilités d’agir. Pour le moment, dans nos métiers, l’exception culturelle nous protège. Nous avons des barrières solides qui font qu’on n’est pas touchés directement. Aux Etats-Unis, la culture est presqu’entièrement appuyée sur le mécénat. Mais comme il vole en éclats, les musées ferment, vendent leurs œuvres et les saisons d’opéra s’annulent. Alors qu’en France, dans un fort système étatique, on résiste beaucoup mieux.
Si vous comparez les conditions de travail d’aujourd’hui et celles du début de votre carrière, quels sont les grands changements ?
Lorsque j’ai commencé, les artistes étaient vraiment au centre. Par exemple dans les années cinquante, toutes les personnes qui ont créé ces grandes maisons comme le TNB étaient des artistes. Pas des directeurs de théâtre. Ces quinze dernières années, les intendants, les directeurs administratifs ont pris beaucoup de place. Cela se traduit souvent par moins de prises de risques, moins de chances données à des jeunes artistes qui démarrent. Du coup, les jeunes artistes qu’on voit émerger aujourd’hui, sont plutôt des néoclassiques et moins des jeunes inventeurs.
L’autre changement, c’est que les artistes sont moins identifiés comme étant les premiers porteurs du mouvement culturel. La fonction d’opérateurs culturels se développe beaucoup, ils sont très nombreux. Je ne suis pas contre, mais il faut qu’ils restent à leur place. Parce qu’en prenant le pas sur l’artiste dans ce monde professionnel, quelque chose dévie.
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