(Marie Thomas)
"C’est dans le cadre du festival « Mettre en scène » à Rennes, que nous avons découvert ce spectacle de Stanislas Nordey. « Living ! » ne raconte pas l’histoire de ce groupe artistique américain fondé par Julian Beck et Judith Malina, qui bouleversa le langage et les codes du théâtre. Nordey a théâtralisé leurs pensées, à travers les voix des jeunes acteurs sortis de l’Ecole du Théâtre national de Rennes. La société, le genre humain, le théâtre, l’art, la culture, la politique sont abordés. En écoutant ces réflexions, ces coups de colère, ces textes révolutionnaires, il ne faut jamais oublier le contexte de leur époque : la beat génération, le mouvement hippie et l’abus de stupéfiants. Le dernier texte de Beck reste le plus intéressant. Car les questions qu’il y pose résonnent toujours. Elles portent sur la création et l’humain. Les seize comédiens, très prometteurs, montrent à travers ces monologues leurs diversités et leurs talents. On entend très bien, ce grand rêve idéaliste que fut le Living."
sur (Pariscope)
(Tristan Rothhut et Marie Thomas)
"C’est un magnifique cadeau que Stanislas Nordey a offert aux jeunes acteurs sortant de l’école du TNB (Théâtre national de Bretagne), en leur donnant à découvrir les textes de Judith Malina et Julian Beck, cofondateurs du Living theatre. Et à se les accaparer.
L’image brouillée du Living après Avignon 68
Nordey avait lui-même découvert ces textes à la sortie du conservatoire, à une époque où, en cherchant bien, on pouvait encore se les procurer. Ils sont aujourd’hui introuvables. Et c’est avec ceux dont il a piloté la formation et au moment même où il quitte la direction de l’école du TNB (Eric Lacascade lui succède) qu’il signe « Living ! », un travail en forme de manifeste et de bouquet de fleurs.
En France, l’image du Living est trop souvent réduite à l’affaire Beck-Vilar qui ébranla le Festival d’Avignon 1968. Or on ne peut saisir ce qui se passa cet été-là qu’au regard d’une longue histoire qui commence au tout début des années 50 à New York lorsque Julian Beck (venu de la peinture) et Judith Malina (d’origine allemande, elle fut élève de Piscator) ouvrent un lieu alternatif, le Cherry Lane. Un théâtre résolument anti-Broadway où ils ne resteront pas longtemps (expulsés).
Le propos de Nordey n’est pas historique, mais rappelons tout de même quelques épisodes.
Entre anarchisme et Antonin Artaud
En 1955, leur version de « Ce soir on improvise » de Pirandello les conduit à s’interroger sur leur pratique du théâtre de texte, le rôle du metteur en scène et le rapport au réel. C’est aussi ce qu’a voulu faire Stéphane Braunschweig dans sa version de « Six personnages en quête d’auteur » mais avec beaucoup moins de radicalité.
« The Connection » met en scène des drogués qui attendent leur dealer (leur « connection »), jouant sur une ambiguïté du vrai-faux, les acteurs allant demander une dose auprès des spectateurs. Succès et scandale.
Les voici naviguant entre anarchisme, pacifisme et Antonin Artaud. « The Brig » se passe dans une prison militaire de la base d’Okinawa. Des barbelés séparent la scène du public. Un théâtre de la cruauté, littéralement. Interdiction, emprisonnement.
Ils franchissent l’Atlantique avec « Small Mysteries », montent « Les Bonnes » de Genet à Berlin, « Frankenstein » au Festival de Venise en 1965. Vilar décide de les inviter à son festival avec « Small Mysteries », « Antigone » (créé en 67) et leur nouvelle création « Paradise now ». Une invitation forte et généreuse. La suite est connue.
Le geste de Julian Beck demandant au public de « Paradise now » de sortir dans les rues d’Avignon n’était pas une simple provocation, c’est un geste qui venait de loin.
« Paradise now » et après
« Paradise now », « empêché » à Avignon, tournera pendant deux ans dans les retombées de Mai 68. Puis la troupe va se disperser, se dissoudre. Non sans avoir marqué profondément des aventures alors naissantes du théâtre américain d’avant-garde comme l’Open theatre de Joseph Chaikin et le Performance group de Richard Schechner.
Beck est mort d’un cancer, Judith Malina, toujours vaillante, est encore venue récemment passer quelques semaines en Europe.
Toute cette histoire du Living traverse le spectacle « Living ! », les textes étant dits sans ordre chronologique ni contextualisation. A un moment, un des jeunes acteurs clame :
« Où sont les dockers, les travailleurs du textile, les mécaniciens ? Il n’y a pas de fermiers ici, personne qui ait construit ce bâtiment, personne qui cultive la terre, ici il n’y a pas de Noirs, pas un égoutier, pas une couturière. Pour qui est ce bâtiment ? Où est le peuple ? »
La question du public taraude le Living. Comme elle taraude bien des aventures pionnières telle la décentralisation dramatique en France. Gabriel Garran qui inventa le Théâtre de la commune à Aubervilliers avait pour slogan : « Le théâtre appartient à ceux qui n’y vont pas. » Traduit en langage Living cela peut donner :
« Au théâtre, nous rassemblons l’intuition du public en une belle petite boulette comme un ponpon d’opium puis, nous l’allumons. Et la fumons, en espérant trouver le secret du guide. »
« La tribu est un moyen de creuser ensemble »
La réponse de Julian Beck et Judith Malina sera la tribu, ouverte (opposée au clan fermé et hiérarchique de la troupe). Ils invitent les spectateurs à les rejoindre sur scène comme ils le feront à Avignon.
« La tribu est un moyen de creuser ensemble. Chacun de ses membres est attentif à l’épanouissement et au bien-être de tous les autres membres. Ils constituent une communauté où les individus ne s’aliènent pas les uns les autres. »
Des mots qui parlent à plus d’une des tribus (compagnie, groupe, collectif) qui, aujourd’hui, façonnent le devenir du théâtre. Ces mots du Living, les comédiens qui viennent de sortir de l’école du TNB ne sont pas prêts de les oublier.
Nommons-les : Sarah Arous, Nathan Bernat, Romain Brosseau, Duncan Evennou, Simon Gauchet, Ambre Kahan, Marina Keltchewsky, Yann Lefeivre, Ophélie Maxo, Anaïs Muller, Thomas Pasquelin, Karine Piveteau, François-Xavier Phan, Mi Hwa Pyo, Tristan Rothhut, Marie Thomas.
Non seulement ils défendent leurs textes mais ils les font leur, comme une prise de guerre. Chacun a choisi le(s) texte(s) qu’il souhaitait dire, s’est habillé comme il l’entendait. Nordey, entouré de quelques complices (sa collaboratrice Claire Ingrid Cottanceau, le scénographe Emmanuel Clolus, etc.), a orchestré le tout.
« Comme si la révolution était une idée-tabou »
Le mot « révolution » va de bouche en bouche et finit par former une escadrille comme un vol de grues annonçant un changement de saison. Cependant, c’est à Artaud que Nordey laisse le dernier mot. En donnant lecture du manifeste qui préside à la naissance du théâtre Alfred Jarry à l’orée de la saison 1926-1927. Sans le post-scriptum (ajouté par Artaud après son exclusion du groupe surréaliste) qui commence pourtant haut et fort :
« P.S. Ces révolutionnaires au papier de fiente qui voudraient nous faire croire que faire actuellement un théâtre est (comme si ça en valait la peine, comme si ça pouvait titre à conséquence, les lettres, comme si ce n’était pas ailleurs que nous avons depuis toujours fixé nos vies), ces sales bougres donc voudraient nous faire croire que faire actuellement du théâtre est une tentative contre-révolutionnaire, comme si la Révolution était une idée-tabou et à laquelle il soit depuis toujours interdit de toucher.
Eh bien moi je n’accepte pas d’idée-tabou. »"
sur (Rue-89)
(Anaïs Muller et Thomas Pasquelin)
D'autres articles :
Blog le monde.
Blog Figaro.
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Libé.
Evène.
Théâtre du Blog.
Scène Web.
Blog lacritiquedecequej'aivu.
Ouest France.
Et pour le plaisir de voir Julian Beck en action :
Voici les représentations qui restent :
Ma 18 20:00
Me 19 20:00
Je 20 19:00
Ve 21 20:00
au Théâtre des Quartiers d’Ivry / Studio Casanova.
D’après des textes extraits de
La vie du théâtre et Théandrique de Julian Beck
traduction Fanette Vander
Les chants de la révolution de Julian Beck
traduction Pierre Joris
Entretiens de Beck, Malina et Lebel traduction Jean-Jacques Lebel
mise en scène
Stanislas Nordey
collaboratrice artistique
Claire ingrid Cottanceau
scénographie
Emmanuel Clolus
lumière
Philippe Berthomé
son
Michel Zurcher
collaboration vocale
Martine-Joséphine Thomas
avec
Sarah Amrous
Nathan Bernat
Romain Brosseau
Duncan Evennou
Simon Gauchet
Ambre Kahan
Marina Keltchewsky
Yann Lefeivre
Ophélie Maxo
Anaïs Muller
Thomas Pasquelin
Karine Piveteau
François-Xavier Phan
Mi Hwa Pyo
Tristan Rothhut
Marie Thomas
Création au festival
Mettre en scène
au TNB à Rennes
du 8 au 17 novembre 2012
(Photos : Brigitte Enguérand)